Scientifique engagé, militant convaincu, Gilles Milot nous donne sa version (caustique) de la haute-fidélité, nous parle du LEEDH, de la technologie, et nous livre quelques secrets sur la genèse de son modèle C…
Pouvez-vous retracer votre parcours ?
J’ai fait des études techniques, puis obtenu mon diplôme d’ingénieur. Pour tout vous dire j’allais continuer sur ma lancée, c’est-à-dire un DEA de physique du plasma. Puis j’ai eu l’occasion de rencontrer des scientifiques théoriciens de haut niveau. Et les quelques échanges que j’ai pu avoir avec eux m’ont découragé de faire de la recherche fondamentale. Je me suis dit que je n’atteindrai pas leur niveau et que je serai éternellement insatisfait par manque de concrétisation de mes recherches. Par conséquent, comme la haute-fidélité était ma passion depuis l’âge de 17 ans, j’y ai cherché un nouveau terrain d’expression. Et comme je trouvais qu’il n’y avait, en la matière, rien de très innovant, je me suis dit que c’était un domaine où je pouvais m’exprimer, faire bouger les lignes. J’avais déjà des idées très personnelles sur la question.
Vous souhaitiez créer des enceintes ?
Oui, mais pas n’importe lesquelles. Je voulais concevoir des enceintes qui puissent reproduire non seulement l’amplitude du signal, mais aussi sa phase. Ce que j’ai fait d’abord avec les Perspective, les Audience… Et le travail dans ce domaine m’a permis de créer une vraie image en trois dimensions. Car en termes de restitution sonore, les informations de profondeur sont liées à la phase du signal. Joseph Léon était le précurseur, le seul à avoir appréhendé cette notion. À l’époque, tous les constructeurs disaient « la phase ne s’entend pas ». C’est une hérésie. C’est pourquoi j’ai créé le LEEDH.
C’est donc un acronyme, ce que peu de gens savent ; que signifie-t-il ?
LEEDH signifie Laboratoire d’Études Et de Développements Holophoniques. L’holophonie est la discipline qui permet de reproduire un son en trois dimensions, tout comme l’holographie est celle qui permet de reproduire une image en trois dimensions. Avec LEEDH, ce que j’ai voulu, c’est mettre sur le marché des produits directement issus de la recherche, des réalisations basées sur une véritable recherche scientifique consacrée à la reproduction sonore.
Quels étaient vos fondements ?
Sur les premières LEEDH, j’ai travaillé sur de nombreux critères, et en premier lieu les membranes de haut-parleurs pour diminuer les problèmes liés à la mise en phase. J’avais ainsi développé le HP « biscotte », en m’inspirant de ce matériau qui est léger et rigide, deux qualités inhérentes à une bonne membrane de haut-parleur. Et pour amortir les vibrations du matériau, on enduisait cette membrane jaune d’une fine couche de vaseline, comme le beurre sur la biscotte. Cela donnait d’excellents résultats. J’ai également travaillé sur les filtres en adoptant autant que possible des configurations large bande. Plus le haut-parleur est qualitatif, moins il est nécessaire de le filtrer, et meilleur est le résultat. Puis le coffret est passé à la moulinette ; des enceintes inertes en béton plâtre se sont avérées très prometteuses.
Vous recherchiez donc la plus grande transparence ?
Disons que je traquais les colorations. Que je cherchais à obtenir le grave le moins redondant possible, un grave qui descend, mais qui ne couple pas avec la pièce. J’ai donc développé un système de « pseudo bass-reflex », en quelque sorte une espèce d’enceinte close décompressée. Ma référence a été et reste encore aujourd’hui, plus que jamais, le son « live ». Et en « live », on n’a jamais un son outrancier et « loudness », jamais. Je ne connais que très peu d’instruments qui produisent un effet physiologique, à part peut-être une grosse caisse dans une fanfare. Ce qui fait « bouger le T-shirt », ce sont des instruments électroniques où une enceinte acoustique amplifiée fait littéralement partie de l’instrument, comme une guitare électrique ou un synthétiseur.
Considérez-vous donc qu’une enceinte ne peut pas tout faire ?
Bien entendu, il ne faut pas mélanger les choses. Une enceinte pour écouter de la musique « électronique » ne conviendra pas pour écouter de la musique acoustique. Il n’est pas possible de faire les deux correctement. Les exigences sont antagonistes.
Dans le monde des produits audiophiles, les gens se sont habitués à courir après une chimère. Il y a une erreur sur le postulat de base : essayer de chercher l’enceinte idéale qui va procurer les sensations physiques de la musique moderne, et la fluidité qu’impose les instruments acoustiques. C’est une utopie. Le plus simple c’est d’avoir une enceinte qui remplit correctement la seconde mission et quand l’on écoute de la musique électronique, on branche un caisson de grave, tout simplement.
Les LEEDH C entrent donc dans la seconde catégorie ?
Tout à fait. D’ailleurs je « repère » immédiatement les gens auxquels elles ne plaisent pas. Ce sont ceux qui ont l’habitude de profiter d’un effet physiologique dans le grave ; un effet qui n’existe pas dans la réalité soit dit en passant. Je les encourage à aller écouter des instruments réels, à aller écouter du « live », et ils s’apercevront que l’instrument ne fait pas « boum boum »…
Dans ce cas nous entrons de plain-pied dans le débat de ce qu’est réellement la haute-fidélité ?
Il est vrai, que comme tous les autres, j’ai fait pendant des années un métier de luthier. Les HP traditionnels ont tellement de défauts, que l’on essaye d’ajuster en permanence la balance pour tendre vers un résultat précis. Avec les HPAB (Haut-Parleurs Acoustical Beauty, NDLR), qui ont beaucoup moins de défauts, on s’approche bien plus de la haute-fidélité. Voilà en quoi ce terme de haute-fidélité est d’ailleurs impropre ; il faut plus parler de haute musicalité. C’est le message que j’essaye de faire passer à travers mes produits ! Et ce qui me rassure pleinement, c’est que pour l’instant, il y a quelques personnes éclairées et expérimentées, que je qualifierais de « grands audiophiles » qui sont très satisfaits avec les LEEDH C, parce que c’est ce qu’ils recherchaient intrinsèquement. Certains avaient d’énormes enceintes à haut rendement. Mais ils trouvent avec les LEEDH C des qualités de dynamique pure qu’ils n’avaient jamais entendues. Ce que j’aimerai désormais, c’est faire basculer un maximum de personnes vers cette autre vision des choses. D’ailleurs les acheteurs de C me le disent à chaque fois : « cela nous donne envie de retourner plus souvent au concert ». Voilà ce que c’est : la musique et pas le son
Comment êtes-vous parvenu à cet objectif ?
Tout simplement par rejet du haut-parleur traditionnel. Pour comprendre, j’ai du dresser un état des lieux, analyser tous les défauts du haut-parleur traditionnel. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il fallait repartir d’une feuille blanche, qu’il fallait créer un transducteur dépourvu de tous les défauts génétiques du haut-parleur traditionnel.
Quels sont-ils ?
Il y en a deux : les pièces polaires du moteur, et la suspension de la membrane.
Le haut-parleur traditionnel est un important générateur de distorsion, qui engendre un enrobage acoustique dans le grave et le bas médium. C’est ce que l’on appelle « la couleur du HP ». Elle peut être agréable, sur le piano par exemple, mais sur les voix cela ne trompe pas.
Sur une courbe de réponse d’un haut-parleur traditionnel, on peut voir les modes de flexion, mais pas les modes de torsion. Or ces derniers engendrent une véritable réverbération artificielle. Les modes de torsion de la membrane interviennent entre 250 et 300 Hz, et ceux du spider à partir de 50 Hz. Mais ils ne se mesurent qu’avec le waterfall, et là on voit le traînage.
Quelle parade avez-vous trouvé ?
Sur le HPAB, nous utilisons une membrane extrêmement rigide sans suspension. Les premiers modes de torsion commencent au-dessus de 1 500 Hz. Ainsi, on n’en dénombre que cinq, alors qu’il existe plus d’une centaine de modes de torsion sur le haut-parleur traditionnel.
Second point, nous utilisons un moteur sans pièces polaires, dépourvu de fer. Cela permet d’assurer encore un recul drastique de la distorsion.
Le tweeter et le médium/grave HPAB utilisent le même matériau, un carbone qui coûte une fortune, uniquement utilisé dans le domaine spatial. Avec lui, nous sommes très proches du béryllium et du diamant.
Le haut-parleur est tout petit. On peut donc le rendre extrêmement rigide ; le corps est en résine chargée de céramique. Les premiers modes de résonance du haut-parleur traditionnel interviennent dès 50 Hz, et seulement vers 1 500 Hz sur le HPAB, donc en dessous, il n’y a aucune coloration. Sur un haut-parleur traditionnel, le volume d’air, très polluant, entre en résonance vers 150 Hz pour un volume interne de 50 litres. On a beau amortir, rien n’y fait. Sur le HPAB, le volume de charge n’est que de 0,3 L. Tous ces problèmes sont donc évacués.
Rien d’étonnant à ce que le résultat soit très différent ?
Sur le papier, le HPAB est parfait au-dessous de 1500 Hz. Et lorsque l’on écoute les enceintes, on perçoit un univers sonore que l’on n’imaginait pas. D’où l’immense capacité de l’enceinte à changer de son suivant la nature de la musique ou des appareils associés. Généralement les gens achètent leur système acoustique parce qu’il génère un son qui leur plaît, et ils le revendent d’ailleurs pour la même raison, parce qu’ils sont lassés. Ce qui a été recherché avec le HPAB et les LEEDH C, c’est une absence de formatage du son.
Cela change considérablement la donne en termes d’appréhension sonore ?
Oui, et la terminologie pour définir le son change aussi. Avec les LEEDH C, nous sommes plus proches des termes employés pour la musique réelle.