Test : enceintes Harbeth Monitor 30.1

Harbeth

par Antoine Gresland

Prix : 3 350 euros en cerisier, 3 490 euros en eucalyptus, 3 590 euros en bois de rose
Durée du test : six semaines

On dit souvent que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. Cette analogie n’a plus trop cours dans le monde de la hi-fi. À l’heure de la dématérialisation du signal et de l’innovation tournée vers la convivialité, la plupart des recettes qui ont marqué les débuts de la haute-fidélité « grand public » à la fin des années 1970 se voient reléguées au mieux au rayon vintage, au pire dans la petite boutique des horreurs pour délit de taille ou de faciès. C’est particulièrement vrai dans le domaine des enceintes, où l’on cherche de plus en plus souvent à faire disparaître plutôt qu’à intégrer, voire à modifier son environnement pour recevoir une belle paire de bûches !

Dans ce contexte, on pourra s’étonner que le constructeur britannique Harbeth fête ses 35 ans d’existence à travers une copieuse mise à jour de son classique Model 30, elle-même largement inspirée du fameux cahier des charges BBC, la LS5/9… Et pour cause : le créateur de Harbeth, H. D. Hartwood fait partie de la bande des trois ingénieurs, avec Tim Rogers (auquel on doit le constructeur du même nom) et Spencer Hugues (Spendor), qui sont à l’origine de ces fameux modèles de monitoring – LS3/5A, LS5/9 et LS5/8 – conçues à l’origine pour les studios et les cars broadcast de la BBC.

Depuis 1987, c’est Alan Shaw qui a repris les rênes de Harbeth, mais chez ce modeste constructeur passionné de reproduction sonore, pas question de se laisser tenter par les modes passagères ! On suit le chemin tracé en restant fidèles à des modèles techniques qui ont fait leur preuve, en les peaufinant génération après génération. C’est ainsi que la Monitor 30.1 est une mise à jour du Model 30, de presque deux décennies son aînée.

Harbeth-M30-1-tweetÀ la base, la Harbeth Monitor 30.1 est une deux voies en Bass-reflex, ce dernier venant prendre place sur le baffle, afin de faciliter le placement de l’enceinte (plus) près d’un mur arrière. Haute (58,5 cm), large et profonde pour un monitor, elle a été conçue pour être installée sur un pied qui la placera idéalement à hauteur des oreilles de l’auditeur. Cela dit, sans en rajouter, le placage rosewood de notre modèle de test est à la fois très réussi et suffisamment sombre pour avaler plutôt élégamment les formes de l’ébénisterie. On a bien prévu un cache, mais il est préférable de laisser les haut-parleurs respirer à l’air libre.

Dans le haut du spectre, on trouve un tweeter SEAS à dôme souple de 25 mm refroidi au ferrofluide pour une bonne tenue en puissance. Il est recouvert d’une grille de protection, mais pas de la petite pastille favorisant la dispersion que l’on trouve sur celui de la petite sœur P3/ESR : normal, ce n’est pas le même tweeter ! Sa surface importante doit permettre un parfait recoupement avec le 20 cm polymère chargé du grave et du médium.

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Comme sur toutes les enceintes Harbeth de dernière génération, ce haut-parleur est équipé d’un cône en Radial 2, ce terme désignant un processus de fabrication qui donne naissance à un matériau exclusif à Harbeth, développé en interne avec l’aide du gouvernement britannique pour préserver toutes les qualités du polypropylène sans sa coloration caractéristique, afin d’obtenir un rendu plus neutre et plus précis. Dans les faits, comme l’explique Alan Shaw, il s’agit de repousser la fréquence de résonance du haut-parleur le plus loin possible de sa bande de fréquence utile, pour éviter le côté un peu mou et caoutchouteux du polypropylène, notamment à 3 kHz, c’est-à-dire proche de sa fréquence de recoupement avec le tweeter.

Harbeth-M30-1-filtreCes deux transducteurs sont mariés à l’aide d’un filtre réalisé à partir de composants de haut de gamme qui déterminent une coupure à 3,5 kHz avec une pente de 18 dB par octave calée entre le deuxième et le troisième ordre. Le filtre est collé et sécurisé par des bracelets « serflex » sur la face arrière, juste en dessous d’une plaque de bitume chargée d’amortir les vibrations qui pourraient nuire au bon fonctionnement des compo- sants. Les borniers plaqués or acceptent aussi bien les fiches bananes que le câble nu.

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Au niveau de l’ébénisterie, la Harbeth 30.1 reprend bien sûr la traditionnelle structure BBC en MDF, plaqué bois à l’intérieur comme à l’extérieur pour équilibrer les forces et éviter les déformations dans le temps, complétée par des tasseaux formant un T pour mettre les parois latérales en tension et des faces avant et arrière vissées pour répartir les charges de manière optimale sur le pourtour de l’ensemble. Une configuration qui a fait ses preuves, ce qui n’a pas empêché Alan Shaw de la perfectionner à travers un amortissement revu, grâce à des plaques de bitume et de mousse réparties sur l’ensemble du coffret afin de supprimer définitivement les résonances. Comme les autres enceintes du constructeur, la Harbeth 30.1 habille ses formes traditionnelles d’une finition en bois de rose – comme notre modèle d’essai –, de cerisier, d’eucalyptus ou d’ébène tigré particulièrement réussie. Il va sans dire que ce sont des mains anglaises de dentelières qui assemblent ces petits monitors, malgré leur prix raisonnable…

Mise en œuvre

Harbeth-30.1-enpdsComme tous les monitors qui se respectent, les Harbeth 30.1 sont conçues pour fonctionner sur un pied et non pas sur une étagère. Le constructeur allemand Skylan, qui nous avait fourni les pieds des HL5 testées ici même voici quelques années, propose justement des pieds d’une soixantaine de centimètres sur pointes, spécialement conçus pour les mettre à hauteur d’oreille. Idéalement, on les remplira du matériau SKY Premium Fill et on les complétera par des interfaces de découplage Q-Bricks pour obtenir un ensemble particulièrement stable et inerte. Dans ces conditions, on placera les Harbeth 30.1 à bonne distance des murs latéraux et on jouera avec le mur arrière pour obtenir un bon équilibre des basses avec le reste du spectre, puis on les focalisera sensiblement vers l’auditeur pour une précision maximale de la scène sonore.

À l’écoute

Moins encombrantes que les HL5 – devenues Super depuis – que nous avions tant appréciées lors de leur passage dans notre auditorium, les 30.1 restent visuellement présentes dans une pièce d’écoute, mais leurs qualités auront de quoi séduire les mélomanes à la recherche d’une écoute équilibrée et vivante !

Même si leur rendement n’a rien d’exceptionnel, il semble que ces gros monitors n’imposent pas de contraintes particulièrement difficiles à l’amplificateur et une bonne trentaine de bons watts en classe A ; je pense notamment au Sugden A21 SE, suffira à les faire chanter sans frustration, sans oublier les amplificateurs à tubes qui s’entendent traditionnellement bien avec les enceintes de philosophie sonore BBC.

Pour autant, avec leur rendement moyen, les 30.1 apprécient tout autant les amplificateurs qui ont du coffre, du moment qu’ils présentent un dégradé harmonique digne de leur puissance. Je pense notamment au Neodio NR800 avec lequel nous les avons longuement savourées, mais aussi des grosses bestioles telles que notre Karen KAS450 avec lequel elles se marient idéalement. Pour dire les choses simplement, les performances des Harbeth 30.1, comme toutes les enceintes monitor qui se respectent, dépendent intimement de la qualité de la source et de l’électronique que l’on choisira de leur associer. Plus on montera en gamme, plus on découvrira qu’elles sont capables d’impressionner leurs auditeurs !

Harbeth-30.1-full-clairDans ces conditions, les 30.1 se laissent apprécier sur tous les styles musicaux avec cette spontanéité et ce naturel qui font toute la différence entre une écoute technique et musicale ! C’est vrai, elles descendent moins bas et montent moins haut que les HL5, mais elles préservent cette fluidité chaleureuse qui les rend tellement attachantes aussi bien sur du blues, du rock, du jazz que du classique, avec la sensation d’être en face d’une scène sonore qui s’émancipe totalement des coffrets pour prendre confortablement place devant l’auditeur. Sur « La Vie ne vaut rien » de l’album J’veux du Live d’Alain Souchon, je retrouve cette sensation prégnante d’être dans la salle, mais aussi tous les défauts qui caractérisent cet enregistrement un peu approxi- matif ! En ce sens, les 30.1 jouent parfaitement leur rôle de monitor, sans pour autant sacrifier cette homogénéité et cette qualité de timbres qui permettent d’entrer en contact avec l’émotion de l’instant. La scène sonore est bien dessinée dans l’espace, la voix parfaitement focalisée devant une salle dont on entend tous les bruissements, participant intimement à la sensation d’être devant la musique vivante.

Sur « Ulaz » de l’album Xenophonia de Bojan Z, j’apprécie sur ce morceau que je connais par cœur la lisibilité remarquable du piano, aux cordes parfois volontairement étouffées par les mains de l’artiste, qui vient compléter tonalement la contrebasse de Rémi Vignolo et la batterie de Ben Perowsky. Ça swing avec un naturel déconcertant, chaque interprète venant prendre sa place dans le morceau, à la fois individuellement lisible et remarquablement intégré à la musique. Pour peu que la source et l’amplificateur soient au niveau, on se montrera même étonné par les qualités dynamiques et les nuances dont elles font preuve, avec une fusion des registres bluffante !

Une sensation que je retrouve sur le mélange tabla-sitar du disque d’Anoushka Shankar, Traces of You, qui met une fois encore en valeur leur dégradé harmonique et leur homogénéité remarquable ! Sans atteindre la neutralité et la transparence auxquelles je suis habitué sur mon système de référence, j’ai la sensation que je pourrais écouter de la musique indéfiniment sans me lasser, à faible comme à fort niveau, simplement porté par l’intention des musiciens. La tactilité des timbres donne à chaque instrument acoustique – percussion, vent, corde – une perception réaliste qui fait vraiment plaisir à écouter. Alors que les Harbeth excellent à faire la différence entre deux prises de son, notamment dans la manière qu’elles ont de reconstituer un espace sonore réaliste au-delà de leur dimension physique, elles restent expressives en toutes circonstances.

Sur le disque de musique electro-jazz RE_ECM de Ricardo Villalobos et Max Loderbauer, les 30.1 n’ont pas tout à fait la précision et l’impact dans le bas du spectre de leur grande sœur sur les nappes de grave de « Reblazhenstva », mais la fluidité et l’articulation du message suffisent à mettre en valeur le travail de ces deux fous géniaux, grâce une fois encore à une mise en espace grandeur nature qui en surprendra plus d’un ! Pour dire les choses simplement, les 30.1 ne donnent jamais l’impression d’être de petites enceintes sur pieds tant elles s’effacent avec facilité devant la musique pour déployer une scène sonore crédible dans les trois dimensions.

Vous l’aurez compris : les Monitors 30.1 sont de vraies compagnes musicales, et pour peu qu’on les associe à des sources et des électroniques de haut de gamme, on découvrira qu’elles sont plus transparentes, rapides et musicales que leurs formes relativement austères ne pourraient le laisser croire. Après plus d’un mois passé en leur compagnie, je ne me lasse pas de les laisser m’embarquer sur mes disques préférés, sans frustration, avec la certitude de passer un bon moment, tout seul ou à plusieurs, car, en plus, elles sont peu directives.

En conclusion

En digne héritière d’une tradition musicale qui a fait ses preuves, l’acoustique anglaise nous livre un nouveau petit chef-d’œuvre d’équilibre et de compétence. C’est vrai, les Harbeth M30.1 pourront paraître démodées dans leur forme dans ce XXIe siècle qui pense avant tout à l’intégration et à la facilité d’utilisation, mais la restitution qu’elles délivrent est bien actuelle ! À la fois superbement timbrées et équilibrées, elles démontrent une capacité impressionnante à s’effacer devant la scène sonore, et si elles ne sont pas tout à fait aussi dynamiques et précises que certaines créations high-tech récentes, elles savent exprimer la vie et l’épaisseur de toutes les musiques avec un égal bonheur… Elles valent bien une paire de pieds pour prendre le sien, surtout lorsque l’on voit à quel prix elles sont proposées ! À bon entendeur…

 

Fiche technique :

  • Bande passante : 50 Hz à 20 kHz, ± 3 dB
  • Rendement : 85 dB
  • Impédance : 6 Ω
  • Puissance : minimum conseillé 25 W – crête 150 W
  • Dimensions : 460 × 277 × 285 mm
  • Poids : 13,4 kg

 

Système d’écoute : Sources : serveur : Aurender X100 ; interface USB Bel Canto Ref Link ; lecteur CD/BD : Oppo BDP-93EU NuForce XE, lecteurs de fichier : Linn Akurate DS2, Moon 180 MiND ; convertisseur N/A : Nagra VI ; Exogal Comet, préamplificateur : Linn Kisto ; amplificateur : Karan KAS 450 ; amplificateur intégré : Neodio NR 800 ; enceintes : ProAc Response ‘D2’ , LEEDH E2 ; caisson de basses : LEEDH 20.1, câbles de modulation symétriques : Esprit Gaia et Eterna, asymétrique : Fa Dièse Harmonie Plus 2, Cardas Golden Cross ; câble numérique AES/EBU : Esprit Gaïa ; câble Ethernet : Audioquest Diamond ; câble HP : Leedh Universel ; Supports : Klinger Favre Foating board ; GP Audio ; accessoires : pieds Millenium M-Puck, HRS Nimbus, plaquettes amortissantes HRS Damping Plate MK II, barrette secteur : Neodio PW1 ; câbles secteurs : Esprit Eterna & Gaïa ; Esprit Manta